La beauté est une déclinaison de l’infini dans la pensée humaine. Inaccessible comme l’horizon, elle fascine et attire, mais ni la force ni la raison ne peuvent se l’approprier. Elle peut être un don comme elle peut être un fardeau ; elle peut être un leurre comme elle peut dire la vérité ; elle peut être un bien comme elle peut dissimuler le mal. La beauté nous donne envie de vivre, mais nous maintient, bien souvent, dans une éternelle frustration. Pourtant, la beauté n’est pas la perfection, et les chemins de la beauté ne sont pas ceux de la raison. La sainteté n’en ouvre pas l’accès, pas plus que la puissance ne permet de la dominer. Léonard Cohen en témoigne dans cette chanson empreinte d’amertume autant que de lucidité, décrivant au passage toutes les hypocrisies, folies et tromperies des hommes qui voudraient paraître meilleurs pour mieux servir leur ambition et leur vanité : Se faire admirer à défaut de pouvoir être aimé. Se faire craindre à défaut de pouvoir être admiré. Il évoque ainsi ceux qui font Dieu à leur image et s’en attribuent ensuite les qualités et les pouvoirs. Il raille la fausse modestie des emblèmes, l’hypocrisie d’une imitation de Jésus chassant les marchands du temple, et l’inanité des sentiments contraints. Il démontre l’absurdité de la vision anthropomorphique d’un dieu orgueilleux et cynique qui exige de ses créatures de l’adorer, les soumets aux pires fléaux, les menace et les punit pour leur faire implorer son pardon et le faire passer pour de la bonté. Mais la beauté, quant à elle, reste inaccessible. Comme une planète lointaine sur laquelle « la main de l’homme ne mettra jamais le pied » (pour paraphraser Claude Farrère), comme un drone ou une fusée sans pilote (Léonard Cohen joue sur les différents sens de « unmanned »), la beauté se passe très bien de nous et des hommes en général, peut-être, précisément, parce qu’elle n’existe que dans leur esprit. J’ai Poursuivi la Beauté J’ai poursuivi la beauté J’ai tant abandonné Ma patience et mon foyer Mon chef-d’œuvre non signé J’espérai sa récompense Pour ce choix solitaire Et surement sa réponse A une telle voix qui désespère Exerçant ma sainteté J’ai fait la charité Ma vertu et sa renommée Ne l’ont pas même touchée J’ai laissé l’or pour l’argent Et je m’habille en noir Où j’aurais dit « Je me rends » J’attaque par devoir J’ai chassé du casino Marchands d’argent et de chair Et j’ai moi-même décidé De ce qui est pourri ou vert Exigé l’obéissance Frappé pour qu’on se dise La valeur de ma clémence L’ombre de mon emprise Mais je n’ai pu la toucher Malgré ma main si forte Son étoile hors de portée Sa nudité sans pilote J’ai poursuivi la beauté J’ai tant abandonné Ma patience et mon foyer Mon chef-d’œuvre non signé (Traduction – Adaptation : Polyphrène) |